Un créateur poète plein de bon sens.
Lino est né il y a 36 ans à Milan. Issu d’une famille du sud de l’Italie, paysanne du côté de son père ; il a grandi en ville. Amoureux de la création il s’oriente vers le graphisme et la bijouterie. Dès l’adolescence il travaille avec passion différents matériaux ; le bois, l’argile, la cire puis le métal. Il est alors bijoutier pendant huit ans. C’est en arrivant à Paris pour continuer son métier, que le changement de chemin s’enclenche ; « Je me suis dit qu’il y avait trop de choses qui n’allaient pas ; par rapport à ce que je mangeais, à l’influence que ça avait sur ma santé, ma façon d’être, j’ai remis tout ça en question. Je voyais bien que ce que je mangeais à Paris n’avait pas du tout le même goût que ce que qui venait du potager de mon père ». Lino constate que beaucoup de personnes avaient des problèmes liés à leur alimentation mais qu’elles ne le remarquaient pas ou bien ne pouvaient pas faire autrement : « C’est vrai que certains produits bio peuvent être un peu chers à Paris et c’est pourquoi il faut essayer de monter des initiatives au niveau local ; j’ai commencé à me poser des questions sur l’impact de l’agriculture sur nos vies et j’ai voulu proposer des solutions ».
Il remet aussi en question sa vie citadine : «Dans les grosses villes il y a des espaces de rencontre mais pas vraiment d’espaces humains. On est toujours sur le béton, on est exposés à un flux permanent de nouvelles et d’informations qui nous font nous détacher de ce qui nous fait nous sentir bien. Je ressens un réel sentiment de bienêtre quand je suis dans les parcs, à la montagne, à la mer, tout simplement dans la nature.» Ayant toujours fait partie de mouvements militants plus liés au social, Lino s’intéresse alors à l’écologie, aux rapports entre l’Homme et la Nature et à la recherche de solutions pour restaurer leur équilibre dans une agglomération d’Hommes.
C’est avec beaucoup de bon sens que Lino prend du recul sur son travail d’orfèvre : « Mon travail était très polluant ; de par les acides que j’utilisais mais aussi à cause des méthodes d’extraction des métaux. Elles font intervenir une main d’œuvre exploitée et ont des conséquences désastreuses sur l’écosystème. Je faisais partie de cette chaîne et j’ai constaté que je ne pouvais pas apporter de solutions donc j’ai dû changer de voie ». Toujours mû par sa soif de création de beauté, durable cette fois ci, il se tourne naturellement vers l’agriculture. Il sent qu’il y trouvera plus de bienêtre et d’équilibre, il a en tête le rêve du paysan souriant et accompli qui, la fourche à la main, regarde son champ avec fierté.
« Caminante no hay camino, se hace camino al andar… » (« Marcheur, il n’y a pas de chemin, On trace son chemin en marchant. » Antonio Machado)
Lino se voit à la campagne, parler des plantes et expliquer la complexité des écosystèmes. Mais il faut qu’il apprenne, qu’il pratique, qu’il rencontre les bonnes personnes pour tracer son chemin et le parcourir au mieux. Il décide de tester s’il est capable de faire un travail physique en extérieur et en toute saison ; il est coursier à vélo pendant deux ans à Paris. « Ça m’a bien plu, j’aime être dehors, pouvoir respirer, observer ce que j’ai autour de moi et vivre l’instant. Dans mon atelier de bijoutier je ne voyais jamais la lumière du jour ».
Il poursuit alors un BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole) en maraîchage biologique en région parisienne. Il constate que le discours dominant dans cette formation est très influencé par celui des politiques : production intensive, mécanisation, grandes surfaces, rentabilité… Lino expose donc ses pensées et besoins à ses professeurs qui lui conseillent des lectures et l’orientent vers des producteurs en lien avec ses attentes. « Au début de la formation il y avait dans la classe un conflit entre ceux qui soutenaient le modèle d’une agriculture locale, à petite échelle en agroécologie et les gros agriculteurs avec leurs gros tracteurs. Mais en discutant avec des gens différents tu te rends compte qu’ils sont rentrés dans ce système par imitation mais qu’ils sont tout aussi passionnés que toi et qu’ils ont aussi des familles, des contraintes. J’ai conclu que plutôt que de créer un conflit, il faut améliorer le dialogue. Je vois que les choses changent petit à petit et ça me donne envie de continuer.»
La cour de Versailles mangeait des pêches de Montreuil
Son BPREA en poche, Lino a l’opportunité de devenir le responsable d’un jardin pour l’association « Le sens de l’humus » de Montreuil. C’est un jardin expérimental et éducatif, s’inspirant de la permaculture, où sont évaluées les différentes méthodes de jardinage biologique existantes et les techniques d’amélioration du sol à partir de divers amendements. Un jardin avec une centaine de fruitiers qui appartient à la dernière horticultrice montreuilloise. Autrefois, les jardins de Montreuil produisaient des fleurs, des légumes et surtout des pêches pour la cour de Versailles, la cour d’Angleterre et les Tsar de Russie. Les enclos ou Murs à Pêches sont situés entre les murs couverts de plâtre ce qui permet de créer un microclimat favorable aux plantations.
Le jardin est aussi un lieu d’accueil et d’inclusion de personnes marginalisées : « Chômeurs de longue durée ou n’engageant plus de démarches vers l’emploi, seniors, personnes en situation de handicap, jeunes immigrés ayant des difficultés linguistiques se (re)construisent à travers une activité pratique de jardinage, des activités de sensibilisation, une vie de groupe, conviviale et solidaire ». Lino se bat aux côtés de l’association pour éviter le grignotage de la ville sur ces jardins et les faire vivre.
Devenir paysan, prendre soin de la terre et des hommes, en route vers l’Italie !
Lino pensait rester en France pour cultiver mais la rencontre avec sa compagne (Francesca) le fait rentrer en Italie. Ils ont aujourd’hui le projet de créer une micro-ferme dans l’un des forts de Gênes.
« Nous souhaitons, entre autres, montrer combien de personnes peuvent être nourries avec une petite surface, prendre soin de la terre et des humains. » Lino a hâte de devenir paysan, il sait que c’est un travail physique mais aussi très gratifiant : « C’est beau de voir le résultat de tes efforts. J’aime regarder les petites bêtes et observer leur interaction avec les plantes et l’amélioration que j’ai pu apporter au lieu que j’ai travaillé. Être paysan c’est l’art de cultiver la terre et de la rendre plus fertile, j’aime bien le côté poétique de ce métier. »
Pour lui, le métier de paysan est un métier clé, c’est la création de la nourriture vitale à chacun d’entre nous. Il estime qu’il est indispensable que les citoyens respectent les paysans qui les nourrissent et vice versa. « Occupe-toi de moi parce que je m’occupe de toi. » C’est dans ce sens qu’il souhaite développer les AMAP (Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) en Italie où ce système existe très peu ; uniquement sous une forme différente et sans contrat de préachat. C’est pour lui un bel acte militant qui permet de partager le risque avec l’agriculteur. Il s’attachera à promouvoir l’énergie sociale et l’intelligence collective locale.
Lino est prêt à relever tous les défis de cette belle activité dont il appréhende parfaitement la complexité : « Ce ne sont pas de simples lignes de salades et de carottes, il y a tout un monde autour et c’est énorme. Le paysan a la responsabilité de prendre soin de ce tout, de partager et donner, pour soi et pour les autres. »
Ses conseils pour les futurs néo-paysans
« Essaie ! Si tu sens que ça t’intéresse, vas-y renseigne toi, cherche une association ou un agriculteur qui ait envie de partager, met les mains dans la terre, observe et après lance toi ! Le jeu en vaut la chandelle ! »
« Soyez responsables et généreux ! »
Je me lance.. ;D